Conférence climatique: ce qui s’est passé à Varsovie.

Le 23 novembre 2013 s’est achevé à Varsovie, sans résultats probants, la 19ème Conférence des Parties à la Convention Cadre sur le Changement Climatique (CCNUCC).

Certains commentateurs ont jugé sévèrement cette réunion. Pour Samantha Smith, porte-parole du WWF «Les négociateurs à Varsovie n’étaient manifestement pas prêts ou capables de nous guider vers un avenir meilleur. … Ils ne se sont pas montrés disposés à négocier en bonne foi». Daniel Mittler, représentant de Greenpeace estimait que «En bref, les gouvernements semblaient seulement vouloir montrer qu’ils sont au service de l’industrie des énergies fossiles, pas de leurs peuples.»

Faut-il s’étonner de cet échec, un de plus depuis le fiasco de Copenhague en 2009? Plutôt que de se lamenter sur le manque de courage politique de nos gouvernements, voire leur inféodation à l’industrie pétrolière, il serait sans doute plus judicieux d’observer ce qui s’est passé à Varsovie.

Première observation : le divorce croissant entre gouvernements et société civile. Conditionnés par une pensée économique qui reste aveugle aux graves déséquilibres environnementaux, les gouvernements semblent confondre les ambitions des grands groupes industriels et financiers avec l’intérêt général, dont les ONG présentes s’étaient fait les portes parole. La tension a atteint un point de rupture à Varsovie lorsque les ONG ont quitté la salle en bloc. Winnie Byanyima, directrice exécutive d’Oxfam explique ce geste : «Trop c’est trop. On se moquait des engagement pris. Des gouvernements, qui auraient eu le pouvoir de débloquer la situation, se comportaient de manière irresponsable».

Deuxième observation : parmi les scientifiques consultés, un grand nombre considèrent que le maintien du réchauffement en dessous de 2°C d’ici 2050 est d’ores et déjà hors d’atteinte. Or, depuis la réunion du G8, qui l’avait formulé pour la première fois en 1996 en se basant sur les informations fournies par le 2e rapport du GIEC publié en juin 1995, ne pas dépasser ce plafond a toujours été présenté comme l’objectif clé de la lutte contre le réchauffement. Le doute ainsi jeté sur sa faisabilité change la donne.

Enfin la troisième observation porte sur la nature du problème. La Convention de 1992 énonçait ainsi le but de la politique climatique : stabiliser la concentration de gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère à «un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique». Elle était toutefois muette sur les mesures à prendre si de telles perturbations advenaient, manifestant par là que pareille éventualité était d’emblée exclue. C’est là où les choses ont changé à Varsovie. Il a été décidé de mettre en place un mécanisme pour traiter des «pertes et dommages» induits par le changement climatique aux pays les plus pauvres. Par rapport à la Convention Cadre, cette décision marque une rupture dans la manière de se représenter le problème et les remèdes à lui apporter puisqu’il est maintenant reconnu que des perturbations dangereuses – des dommages – sont déjà apparues et doivent être traitées.

Par ailleurs la décision de créer un mécanisme de dédommagement, certes limité, revient à reconnaître en matière de phénomènes climatiques la pertinence du schéma de la responsabilité civile. Selon certains philosophes du droit, notamment le français Michel Villey,le droit à la réparation d’un dommage subi, que consacrent les systèmes juridiques nationaux, relève du droit naturel, c’est-à-dire que sa légitimité ne dépend pas de la décision d’un législateur ou d’un pouvoir politique, mais découle de la nature des rapports sociaux eux-mêmes. Dès lors que le dommage climatique est reconnu et que son origine anthropique est admise, continuer à refuser d’indemniser les victimes comme l’ont fait les pays du Nord jusqu’à présent, relèverait d’une forme de déni de réalité.

Une grande conférence se tiendra à Paris en 2015 dans l’espoir de conclure un accord mondial destiné à bloquer les émissions de GES. Il entrerait en vigueur en 2020. Cependant, à la lumière des événements de ces dernières années, ses chances de succès apparaissent ténues.

Et pourtant, si les gouvernements ne changent pas d’attitude, s’ils continuent à reculer devant leurs responsabilités, le fossé qui les sépare de la société civile ne fera que se creuser avec des risques de plus en plus sérieux de survenance de profonds désordres sociaux. En optant franchement pour la logique de la responsabilité civile inaugurée à Varsovie, la communauté internationale ouvrirait des perspectives nouvelles. Il s’agirait là d’un changement profond d’orientation puisqu’on renoncerait à la voie politique, visiblement inopérante, pour lui préférer la voie du droit commun.

Cette voie offrirait plusieurs avantages :
– Si, suivant en cela les jurisprudences nationales en matière de dommage écologique, on rejette l’indemnisation financière, qui ne fait généralement que déplacer le problème, et qu’on opte pour la réparation du dommage, on peut espérer apporter des remèdes réels aux dommages climatiques.
– La réduction des émissions de GES, sans être l’objectif déclaré, serait néanmoins atteinte. En effet, une fois les coûts des dommages climatiques induits par l’utilisation des énergies fossiles – principale source de GES – intégrés dans leurs prix de revient, ces énergies ne seraient plus rentables dans de nombreux cas. Elles seraient alors abandonnées et les émissions de GES diminueraient.

Un accord international en 2015 pourrait dès lors avoir pour objectifs d’obtenir des Etats signataires :
1. qu’ils acceptent formellement le principe de la gestion du changement climatique par les règles du droit commun,
2. qu’ils renoncent à s’opposer à l’exigence de réparation des dommages climatiques par les émetteurs de GES,
3. que les ayant droits ne soient pas les Etats nationaux mais les communautés directement affectées (provinces, villes, municipalités), les gouvernements nationaux se montrant souvent peu sensibles à l’urgence des situations locales,
4. que soient crées un mécanisme et des organes supranationaux destinés à évaluer les dommages, collecter les fonds et accorder les financements aux projets de réparations.