Le 30 novembre 2015 s’ouvrira à Paris la COP21, soit la 21ème rencontre des parties à la Conférence cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), un événement important qui suscite de très fortes attentes. Toutefois, pour les raisons qui sont exposées ici, ces attentes pourraient bien être déçues.
La démarche de la CCNUCC, qui inspire cette rencontre, repose sur un postulat qui n’a jamais été validé par les faits : les gouvernements seraient disposés à décider une limitation des émissions de gaz à effet de serre (GES) de leurs pays et capables de la leur imposer. L’expérience du protocole de Kyoto de 1997 jette pourtant un doute sur la capacité réelle des Etats à respecter un tel engagement, puisque malgré la volonté de ses États signataires d’obtenir pour 2012 une réduction des émissions de GES de 5,2%, celles-ci ont augmenté de plus de 40%. Et l’échec en 2009 des négociateurs de la conférence de Copenhague à convenir de nouveaux objectifs de limitation des émissions est éloquent.
La décision d’organiser la rencontre de Paris a été prise dans l’espoir d’obtenir enfin un succès en usant d’une méthode qui s’est jusqu’à présent montrée inefficace. Cela revenait à ignorer que la méthode de lutte contre les désordres climatiques choisie au Sommet de la Terre de 1992 butte constamment contre un obstacle rédhibitoire, le conflit entre l’intérêt général de l’humanité et le libre jeu des ambitions nationales. Ce type de blocage qui oppose des intérêts particuliers au bien commun constitue un cas d’école connu par les psychologues sous le nom de « dilemme du prisonnier ».
Dans notre contexte, le dilemme pour un chef de gouvernement peut se résumer ainsi. Soit son pays réduit ses émissions de GES et il risque alors de perdre des points de compétitivité ; soit il consacre ses efforts à accroître sa compétitivité et laisse à plus tard la réduction de ses émissions. Si chaque gouvernement adoptait une attitude coopérative et s’arrangeait pour que son pays réduise ses émissions, les changements climatiques seraient sous contrôle et tous en sortiraient gagnants. Dans la réalité, bien qu’il sache qu’il serait bon que son pays réduise ses émissions de GES, un leader sera souvent réticent, pour des raisons qui tiennent à la fois aux valeurs de la société et aux peurs qui l’animent, à accepter que cette réduction se fasse au prix d’une perte de compétitivité. Si les autres nations réagissent de la même façon, chacun finira par se focaliser sur la course à la compétitivité. Dans ce cas de figure, les plus graves conséquences envisagées, notamment un dépassement de seuils critiques provoquant l’emballement du réchauffement, deviendront probables et tous seront perdants.
Or le fonctionnement de l’économie mondiale est tel qu’il nous entraîne lentement vers cette dernière variante dont le pouvoir d’attraction ne fait que croître. En témoigne le revirement du Japon, de la Russie et du Canada, Etats signataires du Protocole de Kyoto, qui ont refusé par la suite de s’imposer le moindre quota d’émissions tant que les Etats-Unis, la Chine et l’Inde ne prendraient pas également des engagements. La société mondialisée apparaît ainsi comme un système au sein duquel les ambitions nationales, pas forcément conformes aux intérêts des populations, sont invariablement privilégiées au détriment du bien commun de l’humanité.
Il ne faut pas jeter la pierre aux hommes politiques, ni d’ailleurs aux dirigeants des compagnies pétrolières, puisque c’est sous la pression d’un système qu’ils en viennent à adopter des comportements non-coopératifs. En vérité, notre ennemi le plus redoutable c’est le système économique mondial lui-même, une construction humaine dont l’homme à perdu le contrôle. Si l’on veut sortir du dilemme délétère du prisonnier, il est alors essentiel de reprendre le contrôle du système.
Le rapport conflictuel entre intérêts particuliers et intérêt général a de tous temps constitué une menace pour les communautés humaines. Dans les communautés de base (cités, nations), l’intérêt général est préservé par l’instauration d’une autorité qui est chargée de cette mission. Au niveau mondial, il n’existe pas d’autorité. Le monde reste organisé autour du principe de la souveraineté nationale et chaque nation décide jalousement de ce que est présumé conforme à son intérêt. L’Organisation des nations unies, elle-même, ne constitue pas une autorité, puisque les gouvernements qui y siègent sont libres de ne pas s’engager dans le cadre des traités négociés entre nations et peuvent choisir ensuite de respecter ou de ne pas respecter leurs engagements éventuels sans craindre de sanctions. Dans ce monde où règne l’esprit de compétition, la valorisation du principe de la souveraineté nationale entraîne les Etats dans une rivalité permanente qui nuit à leurs populations.
Relever le défi des changements climatiques suppose donc de tirer les conséquences du fait qu’ils constituent une menace mondiale. Et tout comme un problème national est traité par une autorité nationale, un problème municipal par l’autorité municipale, un problème mondial ne peut être efficacement géré que par une autorité mondiale, c’est-à-dire par une institution supranationale à laquelle les gouvernements acceptent de se soumettre dans l’intérêt même de leur population. Il s’agit donc d’une révision profonde de notre manière d’aborder la gouvernance mondiale. Ce n’est qu’à ce prix que l’on s’extirpera du dilemme du prisonnier.
La mission de cette institution serait, non de casser le système, mais de l’infléchir de manière à neutraliser ses effets néfastes. Il s’agit, dans le cadre de la course à la compétitivité, de décourager le recours à l’utilisation d’énergies fossiles et au rejet dans l’atmosphère de GES. Comment ? Par une mesure simple, qui relève du bon sens : en faisant supporter à tous les émetteurs de GES leur part du coût des préjudices que les GES occasionnent à un nombre considérable d’habitants de la planète. Ils auront ainsi tout intérêt à recourir à des alternatives aux énergies fossiles : efficience énergétique, énergies renouvelables, sobriété. Les modalités d’application de ce principe ont déjà été exposées[1]. Ce n’est pas ici le lieu de les détailler.
La science de l’écologie nous enseigne que deux facteurs limitent la population d’une espèce : le niveau de ses ressources et la pression de ses prédateurs. L’espèce humaine n’a plus de prédateurs naturels et elle s’est montrée jusqu’à présent incapable d’imposer des limites à son expansion. Va t-elle laisser la destruction de ses ressources naturelles, à laquelle elle se livre en toute inconscience, finir par imposer un arrêt brutal à son développement ? Peut-être aurons nous un début de réponse à cette question l’automne prochain.
[1] Voir l’ouvrage : Michel Stevens, « Revenons sur Terre – Comment échapper à l’enlisement des négociations sur le changement climatique », Editions l’Harmattan, Paris, 2011.